Archive pour avril 2022

Face B avec Ben Gastauer

FACE B – DÉCOUVREZ LA FACE CACHÉE DES PERSONNALITÉS

Face B avec Ben Gastauer, ex-cycliste pro

Auteur: Jérôme Didelot

https://5minutes.rtl.lu/photos-et-videos/face-b/a/1893211.html

Il a quitté les circuits, mais reste en prise avec la musique qui lui a donné des ailes, sur les routes du Tour de France ou ailleurs…

Qu’elles aient bercé notre enfance, qu’elles enchantent nos journées où qu’elles soient devenues des compagnes pour la vie, les chansons jalonnent notre existence.

La devise de Face B pourrait être: « Dis-moi ce que tu écoutes, je te dirai qui tu es ».

Dans cet épisode, c’est un ancien cycliste professionnel du climat qui s’est prêté au jeu. Ben Gastauer a fait les beaux jours de l’équipe AG2R La Mondiale pendant plus d’une décennie. En 2021, une blessure – un problème de plancher pelvien – contraint le coureur de 33 ans à mettre fin à sa carrière professionnelle.

« J’ai pu arrêter à un moment où j’étais encore heureux sur un vélo et avec l’équipe, nous a-t-il confié. C’était également le bon moment par rapport à ma vie de famille. Ma famille est très heureuse que je sois maintenant plus souvent à la maison. Les enfants ne supportent plus que je parte ne serait-ce qu’une journée, alors qu’avant je pouvais partir jusqu’à deux semaines.« 

Pendant les compétitions, les coureurs ne sont pas autorisés à écouter de la musique. Pourtant de nombreuses chansons ont accompagné le Luxembourgeois lorsque le vélo était son métier.

« La musique m’aidait beaucoup, pour la préparation, l’entraînement, pour la concentration sur l’effort à venir. Et même après le courses, pour faire retomber la tension, se détendre et retrouver le calme. »

LA PLUPART DES COUREURS QUI VIENNENT ROULER ICI SONT SURPRIS

Sur la réussite historique des cyclistes luxembourgeois, Ben Gastauer n’a pas vraiment d’explication même s’il estime que « la Fédération fait un bon travail, il y a un bon accompagnement des jeunes. Tout le monde pense que le Luxembourg est plat mais c’est tout le contraire. La plupart des coureurs qui viennent rouler ici sont surpris par la dureté des routes. C’est un bon terrain de préparation aux grandes courses.« 

Aujourd’hui Ben, père de deux enfants de cinq et trois ans, a de nouveaux projets. L’ancien cycliste a repris des études pour devenir kinésithérapeute: « Je savais que ça allait s’arrêter un jour et je n’ai pas de regrets. Bien sûr, je suis toujours les courses de vélo mais je ne vais pas jusqu’à envier les coureurs… Je n’ai plus vraiment envie d’être à leur place! Pendant la carrière, je ne parlais jamais de sacrifice car j’aimais ce métier et je savais pourquoi je le faisais. Mais ce qui est drôle aujourd’hui, c’est que je conçois qu’on puisse envisager cela comme des sacrifices… Des sacrifices que je ne voudrais plus faire.« 

JEMPY DRUCKER ET BEN GASTAUER (2/2)

Entretien avec le journaliste du Quotidien Denis Bastien

RENCONTRE DES SPORTS 

Suite et fin de notre interview croisée entre Ben Gastauer (34 ans) et Jempy Drucker (35 ans) qui continuent ici de débriefer sur leurs longues carrières et le cyclisme actuel. Le futur entraîneur et le futur kinésithérapeute continuent d’échanger à bâtons rompus.

JEMPY DRUCKER ET BEN GASTAUER (2/2)

Alors, on se revoit quand?», lancent-ils en chœur. «Quand vous vous voulez…», serions-nous tenté de répondre, tant la qualité de l’échange fut à la fois intense et décontractée. Très riche. À l’image de nos deux interlocuteurs qui sont restés comme au long de leurs carrières d’une simplicité presque désarmante. Pour rappel, la première partie fut consacrée à leurs vies actuelles de jeunes retraités, à leur avenir qu’ils sont en train de façonner. On penche davantage, pour terminer sur l’actualité du cyclisme international et national. Après l’entretien qui s’est prolongé pendant presque une heure de manière informelle sur un ton badin, on s’est d’ailleurs aperçu qu’on n’avait pas eu le temps d’évoquer Bob Jungels et son début de saison. Jempy Drucker, comme Ben Gastauer, sont unanimes. «On voit bien qu’il est de retour, il manque juste pour le moment d’un peu de confiance, il ne lui manque pas grand-chose et comme c’est un grand champion, il va le faire. Laissons-lui juste un peu de temps!» On ne voit plus rien à ajouter…

Quelle analyse portez-vous face à ce phénomène où on voit carrément des juniors arriver dans de grandes équipes pros et à 19 ans, comment par gagner de grandes courses. Ainsi, dimanche dernier, Biniam Girmay vient de remporter Gand-Wevelgem à 21 ans. Jempy Drucker : Il faut apporter du professionnalisme dès les plus jeunes, chez les débutants. Les juniors connaissent déjà beaucoup de choses sur l’entraînement, le métier de coureur cycliste professionnel. Ben Gastauer : Moi, j’ai appris ce métier de coureur professionnel au centre de formation de Chambéry. J’étais en dernière année espoirs. Après, la transition avec les pros était déjà compliquée. Et si je regarde ma première année chez les pros, c’était beaucoup moins pro qu’aujourd’hui. Cela a beaucoup évolué en dix ans. Aujourd’hui, un junior est au point au niveau des entraînements. Cela n’était pas le cas à notre époque. Pire, certains jeunes arrivaient dans l’équipe avec plus de connaissances sur les nouvelles méthodes d’entraînement que les plus anciens. J. D. : On doit en tenir compte pour la formation de nos coureurs. On n’a plus le temps d’attendre…

B. G. : Oui, il faut trouver le bon équilibre, être très tôt professionnel, mais il ne faut pas non plus oublier les études et le projet de vie. C’est d’ailleurs tout à fait possible de combiner les deux aspects, même chez les pros d’ailleurs. Et le risque existe de passer professionnel jeune et que la carrière s’arrête. On le voit avec les arrêts prématurés. On demande de vous que vous soyez très vite au niveau. Si on ne l’est pas, alors c’est compliqué de rester dans le circuit, d’autres jeunes arrivent. C’est aussi une conséquence, les équipes laissent de moins en moins le temps aux jeunes de se développer. Si on est un jeune pro, il ne faut pas se rater.

Vous-mêmes, si vous étiez passés professionnels aussi jeunes, vous n’auriez peut-être pas duré jusqu’à vos 34 (pour Ben Gastauer) et 35 ans (pour Jempy Drucker), non? On ne se brûle pas plus vite en passant professionnel très jeune? B. G. : Mentalement, c’est sûr, physiquement, pas forcément. La tendance actuelle est de moins courir au niveau du nombre de jours de course, mais par contre l’intensité est plus forte. Il faudra voir avec le temps ce que cela donnera.

J. D. : C’est clair, il n’y a plus de course de préparation aujourd’hui, toutes les courses se courent à fond. B. G. : Il n’y a pas longtemps, on avait beaucoup de jours de course, mais toutes les courses n’étaient pas si intenses. J. D. : Oui, il y a des courses où on se baladait une bonne partie des étapes. B. G. : Même sur les grands tours, on a vu le changement. Les 21 étapes se passent à bloc. Les dernières éditions, c’était comme ça, on avait l’impression que chaque jour, il y avait quelque chose qui pouvait arriver. J. D. : Oui, la moindre côte, il faut désormais la monter à fond. Bam, Bam, et on va voir! Des fois, il n’y a presque plus de tactique. B. G. : Tout le vélo a changé en effet. Tout est devenu plus professionnel, mais aussi plus intense et plus dur. J. D. : L’an passé, j’en parlais avec Elia Viviani (NDLR : le sprinteur italien qui était son ancien coéquipier chez Cofidis, est reparti chez Ineos). Il me disait qu’on serait la dernière génération de coureurs qui iraient au-delà de 30 ans. À l’avenir, les coureurs prendront leur retraite à 30 ans. Ça va venir. Si tu passes pro à 20 ans, tu fais dix ans et c’est fini. Tous les stages d’altitude, ça crée par exemple du stress pour le corps. B. G. : En fin de carrière, j’ai vu des jeunes arriver. Pour eux, c’était normal de vivre ça. Alors que pour moi, ce n’était pas normal. Les trois stages en altitude que j’ai faits ne m’ont pas apporté des résultats significatifs, donc j’avais décidé de ne plus en faire. Mais pour les jeunes, c’était normal de partir tout le temps en altitude et même de faire de la tente hypoxique à la maison. Pour moi, c’était hors de question de faire ça! Je disais aux jeunes, moi je ne vais pas faire de camping avec ma femme à la maison (il rit). C’est hors de question. Eux, ils ont appris le vélo comme ça, mais pas moi…

J. D. : Oui, ma femme m’avait prévenu, tu ne vas mettre une tente dans la chambre, tu n’es pas fou (il rit)?. Elle avait raison. Il y a des sacrifices à faire et aussi des limites. Il y a des choix à faire et je ne regrette pas les miens. B. G. : J’ai vécu le vélo comme je voulais, mais aujourd’hui, cela ne serait plus possible. On était dans la bonne génération. On pouvait profiter. J. D. : Oui on pouvait prendre une bière après une course, aujourd’hui, cela n’existe plus comme ça. Je me souviens de Roubaix 2017 que Greg (Van Avermaet) vient de gagner. Le soir, on était assis sur la table jusqu’à 22 h à refaire la course. Aujourd’hui, tout le monde aurait le nez dans son téléphone, sur son compte Instagram et son fil Twitter. Il n’y a plus de discours. Nous, on a connu l’ancienne génération et sur la fin, on pouvait se demander : « mais qu’est-ce que je fais ici? ». B. G. : Moi, lors des voyages en TGV, on se retrouvait dans le wagon-bar, à la fin, ce n’était plus le cas. Chacun restait dans son coin. J. D. : Même dans les chambres, chacun regarde sa série Netflix.

Finalement, vous êtes heureux d’en être sortis, non?(Ils rient)

J. D. : Bien sûr, pour le moment, je n’ai pas regardé une seule course où je me suis dit que j’aurais bien aimé être dedans. B. G. : Moi, c’est pareil pour le moment, je n’ai pas eu de nostalgie, je n’ai pas eu l’envie d’être sur telle ou telle course. J. D. : Même pour les classiques. Je sais que j’ai eu mon temps. Et c’est bien comme ça. Ce que je regrette toutefois, c’est le manque d’ambiance que nous avons connu les deux dernières saisons avec les restrictions liées à la crise sanitaire. C’était devenu un peu triste. Là, quand je vois que le public est à nouveau là en Flandre, ça fait envie. Avec les monts remplis de public, le Tour des Flandres, ce sera de nouveau une énorme fête. Si tu connais ça, c’est très impressionnant.

20220329, café Babbocaffé à Esch-sur-Alzette au 26 rue des remparts, Interview avec Jempy Drucker et Ben Gastauer, foto: Editpress Feller Tania

Vous avez regardé toutes les classiques?

J. D. : La plupart oui, mais uniquement le final. Je n’ai pas manqué Harelbeke. Mais pour le moment, il n’y a pas eu un jour où je me suis dit, il faut absolument que je voie ça… B. G. : C’est la même chose pour moi. Je n’ai pas regardé une course entièrement depuis que j’ai arrêté. J. D. : Quand tu connais, tu regardes le plus important. B. G. : Cela fait du bien de revoir des courses, mais sans regret de ne pas être au départ. Et lorsque ça paraît dur, qu’il pleut, je me dis que c’est quand même bien d’être à la maison. J’ai un peu perdu ce truc de devoir me faire mal tout le temps. J. D. : On sait ce que c’est. Chaque chose prend une fin. C’est fini désormais, le chapitre est vraiment terminé. Je peux regarder une course sans regret également. Parfois, on se demande où on se trouverait, mais cela reste une pensée d’une seconde. Pas plus…

Globalement, qu’avez-vous pensé des courses de début de saison?

J. D. : Les Jumbo ont fait beaucoup de bons résultats et on a vu beaucoup de malades. B. G. : Paris-Nice a des dégâts. On en voit encore les effets. J. D. : On a vu de jolies courses avec la domination de Jumbo. Et Pogacar aussi…

Ce qui n’a pas empêché Matej Mohoric de remporter Milan-San Remo…

J. D. : C’est vrai, c’est un malin. Il a su prendre un risque. C’était la gagne ou l’hôpital!

Cela résume-t-il aussi un peu le cyclisme d’aujourd’hui?

J. D. : Il n’y a plus de respect. Je ne suis pas le seul à le dire, mais tous les anciens tiennent ce discours. (Peter) Sagan le dit régulièrement dans des interviews. Lorsque le maillot jaune s’arrête pour un besoin naturel… B. G. : (Il coupe) Ça continue d’attaquer!

J. D. : Il y a de cela seulement cinq ans, cela ne serait jamais arrivé. B. G. : Apparemment, les jeunes pros n’ont pas appris ces règles (il rit). J. D. : Je me souviens que lorsque je suis passé pro, il y avait des gars comme (Tom) Boonen, (Fabian) Cancellara qui étaient très respectés. B. G. : Les anciens nous reprenaient très vite si on faisait des erreurs. Aujourd’hui, on incite plutôt les jeunes coureurs à tenter tout pour ramener des points UCI, la pression est plus forte. Je l’ai ressentie à la fin.

J. D. : Moi, j’ai l’impression que les plus jeunes s’en foutent pas mal. Parfois, j’ai dit à certains qu’ils ne pouvaient pas courir comme ils le faisaient. En passant de la gauche à droite. Sans regarder les autres coureurs. Je leur disais, « tu n’es pas tout seul dans le peloton… ». Si une voiture est mal garée, ils te passent juste avant et rentrent sans un signe dans le peloton. Et ça, quelquefois à cent kilomètres de l’arrivée. Réponse, « va te faire foutre! » ou « c’est la course, hein…“. Maintenant, avec deux enfants à la maison, tu es plus relax dans ton canapé que dans une course où tu risques ta vie. Aussi, à un moment donné, je me suis dit, je veux bien casser la clavicule, mais que ce soit au Tour des Flandres ou sur Paris-Roubaix. Pas sur l’Étoile de Bessèges! Puis dans les courses importantes, je me suis autorisé à prendre des risques à mon tour. Pour certains jeunes, la prise de risque, c’est sur n’importe quelle course. Bien sûr qu’il y a plus d’obstacles sur la route qu’avant, mais beaucoup sont inconscients des risques. On a parfois le sentiment qu’ils sont contents d’entendre le bruit caractéristique des chutes dans le peloton, car cela élimine des concurrents. Seuls les anciens font encore signe sur les différents dangers. B. G. : On le voit également dans les courses par étapes, les coureurs du général se mêlent au sprint et ajoutent du danger. Personne ne veut prendre de cassures. Il y a tellement de pression pour tout le monde…

La pédagogie est-elle une solution? B. G. : Oui, je pense même que les organisateurs doivent faire des efforts sur ce point. J. D. : Cela tombe quand même souvent parce que les coureurs prennent trop de risques, c’est mon avis.

On revient à Matej Mohoric, sans cette prise de risque, il ne remporte pas Milan-Sanremo… J. D. : Mais s’il tombe, il peut se tuer. S’il était tombé dans le virage où il a glissé (NDLR : dans la descente du Poggio), il peut se faire très mal. En pareil cas, on incrimine l’organisation. Si tu prends un risque comme ça, si tu tombes, c’est de ta propre faute. B. G. : Après, il y a quand même des organisateurs qui ne font pas toujours de bons choix de parcours.

Vous vous voyez comme de futurs organisateurs d’épreuves? J. D. : Aider, oui. Organiser, non. B. G. : Oui, pour donner des conseils. J. D. : Parfois, par exemple, c’est bien d’avoir un virage près de l’arrivée, lorsque ça étire un peloton. B. G. : Mais on voit que ça tombe aussi dans des lignes droites. J. D. : Oui, car il y a trop de coureurs qui vont de tous les côtés…

On revient à la course. Qu’avez-vous pensé de vos jeunes compatriotes sur les premières courses?

J. D. : Ils sont bien. Alex (Kirsch) et Kevin (Geniets) sont très forts. B. G. : En Belgique, on les voit, ils font beaucoup de travail. Alex a beaucoup progressé dans les ascensions des monts. J. D. : Je pense que la Vuelta 2021 lui a fait du bien. Avec les classiques reportées en fin de saison en 2020, c’était un manque et l’impossibilité de participer à la Vuelta ou au Giro, c’était compliqué. L’an passé, il a disputé le Tour d’Espagne et je pense qu’il a passé un cap. On l’avait vu sur le Tour de Luxembourg, il avait passé un cap. C’est impressionnant ce qu’il fait pour ses leaders. Kevin aussi. Désormais, ils doivent commencer à penser à eux, chercher une opportunité. Ça fait du bien.

B. G. : Ils ont les jambes pour faire des résultats. J. D. : Kevin a terminé neuvième du Nieuwsblad en 2021. Il doit avoir le déclic pour rester avec les meilleurs jusque dans les derniers kilomètres du final. Il y est presque. Il doit y penser pour la saison prochaine. Regarder les Jumbo. Suivre Laporte quand il sort par exemple. Au lieu d’attaquer seul et en premier. Alex est dans le même cas. Un autre coureur me plaît bien, c’est Luc Wirtgen. B. G. : Oui, il fait de belles choses. Il est toujours là cette année. J. D. : Il fait de bons classements, on ne parle pas beaucoup de lui, mais il a bien progressé, il a un bon style de grimpeur-puncheur. B. G. : D’ailleurs, il a déjà changé. Avant, il cherchait les échappées matinales et ce n’est plus le cas. Il a pris confiance et il court pour faire un résultat.

Vous avez donc des successeurs…

B. G. : Il y a du monde, il faut que ça continue.

J. D. : Oui, il faut que ça continue chez les juniors et les espoirs. Alex (Kirsch) et Bob (Jungels) s’arrêteront également quand viendra leur tour, d’ici quelques années. Ils viendront sur le siège où nous sommes installés.

B. G. : Il ne faut pas s’endormir et former les juniors et espoirs…

Finissons avec le Tour des Flandres qui s’annonce. Quels sont vos favoris?

J. D. : Il y a Van Aert (NDLR : cet entretien a été réalisé mardi avant l’annonce de la maladie du champion de Belgique) et le mystère Pogacar. C’est une course intéressante.

B. G. : Après, tout peut toujours arriver sur le Tour des Flandres.

J. D. : Bon, c’est 250 kilomètres, on va retrouver les mêmes noms qu’on connaît. Sur Paris-Roubaix, une grosse surprise reste possible, pas sur un Tour des Flandres. Je vois bien un Pogacar, s’il arrive à survivre sur le final, au Koppenberg, alors il pourra gagner. B. G. : Tout dépendra de la façon dont il passe les pavés…

Ce type de coureurs polyvalents, c’est nouveau?

B. G. : Oui, nous étions de la catégorie des coureurs de classiques flandriennes ou de classiques ardennaises. Lui fait partie de cette génération qui sait tout faire. On n’aurait jamais vu Froome ou Contador venir sur le Tour des Flandres pour le gagner…

J. D. : Au Grand Prix de Denain, on a vu aussi (Primoz) Roglic faire la course…

B. G. : Je trouve ça bien. J. D. : Tu vois que si tu as le moteur, tu peux le faire. Et si tu es bien placé une fois, alors tu es devant. B. G. : Il y a quelques années de cela, (Romain) Bardet demandait toujours de disputer les classiques flandriennes, mais l’équipe répondait que c’était trop dangereux. Toute l’équipe dépendait de ses résultats… J. D. : Il faut dire qu’il y a quand même des chutes sur ces courses., on y revient…

JEMPY DRUCKER ET BEN GASTAUER (1/2)

RENCONTRE DES SPORTS Ils se sont retirés en même temps du cyclisme professionnel. On connaît presque tout de la longue et belle carrière de Jempy Drucker (35 ans) et de Ben Gastauer (34 ans). On se demandait comment ils appréciaient leur fraîche retraite. S’est ensuivie une belle rencontre où les deux hommes ont dialogué une bonne heure. Premier volet aujourd’hui. Le deuxième viendra dans notre édition de demain.

JEMPY DRUCKER ET BEN GASTAUER (1/2)

L’interview n’est pas officiellement commencée que Jempy Drucker, arrivé de son côté depuis Mondercange, converse à bâtons rompus avec Ben Gastauer, dont le vélo de ville électrique, garé à proximité, vient de réaliser un autre court trajet, de Schifflange à Esch-sur-Alzette. Le rendez-vous avait été donné mardi en terrasse du Babbocaffè, rue des Remparts à Esch-sur-Alzette où les deux viennent régulièrement se ravitailler en grains. 

Est-ce que c’est la première fois que vous vous revoyez depuis l’arrêt de votre carrière?

Jempy Drucker : Oui, on s’est écrit un peu, mais c’est bien la première fois qu’on se revoit physiquement. C’est à cause de la distance…

Ben Gastauer : (Il rit) Oui, ça doit être ça. Souvent, on s’est dit qu’il faudrait qu’on aille boire un verre ensemble… On est retraité, et on n’a jamais le temps!

J. D. : Cela fait partie de notre nouvelle vie, quoi, de ne jamais avoir de temps (il rit).

Quels sentiments avez-vous de vous retrouver retraité en même temps?

J. D. : On a grandi ensemble, hein…

B. G. : On savait que ça allait arriver un jour, mais j’avais espéré pour Jempy que ça dure un peu plus car il avait toujours envie.

J. D. : Oui, j’avais encore envie, mais voilà… Cela fait partie du processus. Si tu commences une carrière sportive, tu sais qu’à un moment donné, la retraite arrive, que cela va être la fin.

Qu’est-ce qui change dans votre vie de tous les jours?

B. G. : Un peu tout!

J. D. : Tu ne dois plus t’entraîner. Un job de cycliste professionnel, c’est un job de 24 heures. Tu ne fermes pas la porte et à 18 heures, c’est fini. Tous les sacrifices sont importants, l’alimentation, l’entraînement, les stages, tout ça, c’est terminé. Et tu es tout le temps à la maison. Pour moi, c’est le plus grand changement.

B. G. : Oui, de passer du temps avec la famille, c’est ce qui marque le plus. On a de nouveaux projets de vie. On travaille à un autre objectif et ça fait beaucoup de bien de passer du temps avec tes proches. Moi, je n’ai jamais eu de problème pour aller m’entraîner, j’adorais même ça. Mais j’avoue que ça me fait du bien de ne plus devoir le faire tous les jours. Je profite aussi des week-ends en famille et à la maison. J’ai découvert ça! Ça fait du bien…

Le sport que vous pratiquez aujourd’hui, il est de quelle nature?

J. D. : J’ai fait un peu de gravel, mais allez, c’est devenu plus un plaisir. Tu roules et tu n’as pas l’obligation d’un plan d’entraînement. Si tu veux t’arrêter sur un banc, tu t’arrêtes et tu regardes le paysage…

Vous l’avez fait?

J. D. : Oui (il rit). T’es tranquille. Un jour, je roulais et je me suis dit, tu peux monter cette bosse le plus doucement possible, regarder à gauche et à droite. J’étais tranquille à quinze à l’heure et j’ai vu des choses que je ne voyais jamais. Je trouvais ça beau. Alors que lorsque tu es pro, tu es concentré sur l’entraînement, les watts et tout ça…

B. G. : J’avais ressenti ça en fin de saison dans le sud de la France. J’ai pris conscience que ce serait l’une des dernières fois que je pouvais m’entraîner avec un niveau correct et je voyais le paysage d’un autre œil. C’était chouette. Mais je dois dire que je ne suis plus remonté sur le vélo depuis ma dernière course. Bon, j’emmène les enfants à l’école avec mon vélo électrique.

J. D. : Ah oui, mais là, ce n’est plus du vélo, hein (il rit).

B. G. : Oui, avec la blessure, je voulais m’arrêter trois mois complets. Et puis, j’ai une bonne excuse, je n’ai plus de vélo de route chez moi! J’ai tout rendu à BMC. Mais je viens d’en commander un et il va arriver, alors je vais reprendre un peu. J’ai fait quelques footings.

J. D. : Moi aussi…

B. G. : Avec les enfants, on bouge tout le temps mais ce n’est pas du sport pour faire du sport. Je sens que l’envie revient quand même.

Aujourd’hui que vous n’êtes plus tenu à des exigences, prenez-vous plaisir à manger sans restriction?

J. D. : Honnêtement, si j’ai envie de chocolat, je mange un morceau et je m’arrête alors que lorsque j’étais cycliste, j’ouvrais la boîte et je la finissais (il rit), car c’était soi-disant interdit. Bien sûr, si tu es dans une kermesse en famille, tu manges une frite que tu n’aurais jamais mangée avant. Mais je ne me dis pas que je dois manger une pizza tous les jours. Je me souviens que lorsque mes saisons étaient finies, j’avais mon programme pour décompresser. J’avais ma liste des choses à manger avant que la saison ne reprenne parce qu’ensuite, je savais que je ne pourrais plus le faire avant l’hiver suivant…

B. G. : Je n’ai jamais eu de problème avec l’alimentation. J’ai toujours pu manger équilibré sans devoir me forcer. D’ailleurs, les restrictions n’ont jamais marché pour moi. Je n’ai jamais été dans l’excès. Aujourd’hui, je mange moins; car je fais moins de sport.

J. D. : Je sens aussi que j’ai moins faim que lorsque je courrais.

Vous avez fait de bonnes fêtes quand même?

J. D. : Avec les restrictions, cela n’a pas été facile. Cela fait partie de la vie de boire un coup de trop sans exagérer non plus, non?

B. G. : J’ai fait une belle soirée cet hiver pour mes adieux avec l’équipe.

J. D. : Ce qui est sympa, c’est d’être libre samedi, dimanche. Quand tu cours, tu ne peux jamais voir les amis.

D’un point de vue familial, tout a changé pour vous?

J. D. : Oui, lorsqu’on est pro, on est parti 200 jours par an. Quand tu viens d’une structure familiale comme nous deux, je pense que c’est plus facile à digérer.

B. G. : Cet aspect familial est important pendant et après la carrière. Moi, j’ai eu du temps pour me préparer et avec le covid-19, les enfants étaient habitués de me voir à la maison. Avant, quand je partais pour trois semaines, ce n’était pas un problème, mais maintenant, si je pars une demi-journée, c’est un vrai souci, les enfants me font carrément la tête…

J. D. : Quand j’ai dit à ma fille que je ne partirais plus sur des courses, elle m’a directement dit que c’était super, qu’elle me verrait davantage.

B. G. : Ça change tout pour l’organisation familiale. C’est un grand soulagement pour mon épouse qui lance un deuxième projet professionnel dans son métier de kinésithérapeute. Elle avait besoin de soutien. Avant, c’était un peu l’inverse, mon sport était la priorité et c’est bien de changer.

Du coup, parlez-nous de vos projets de reconversion professionnelle…

B. G. : Je pense que Jempy, comme moi, on a envie que ça avance, on n’a pas envie de rester à la maison.

J. D. : Toute notre vie était construite autour d’objectifs et à un moment donné, ça fait quand même du bien de ne plus en avoir.

B. G. : J’avais toujours besoin d’un challenge et lorsque j’ai arrêté, c’était important d’en avoir un autre, de savoir où cela allait aller, même si tout n’était pas concret à 100 %. Cela me laissait ensuite le temps de le concrétiser, de le construire. Si je n’avais eu aucune idée, cela aurait été compliqué pour moi.

J. D. : Pour moi, c’est déjà un peu connu. Cela fait trois courses que je suis avec la fédération nationale dans l’encadrement, comme le week-end dernier sur Gand-Wevelgem espoirs. Lorsque j’ai annoncé ma retraite à la mi-janvier, la fédération m’a contacté. Ce serait un métier qui me plairait de faire apprendre le métier aux jeunes Luxembourgeois, car tu connais tout le chemin. J’ai passé trois week-ends avec eux et ça m’a beaucoup plu. Maintenant, qu’est-ce que cela va donner dans le futur, on va voir! Je vais préparer à la fin avril un certificat pour être entraîneur fin avril. Cela se déroule au Portugal et c’est organisé par l’UCI (NDLR : Union cycliste internationale). C’est une piste qui me plaît. Je suis encore dans le vélo, j’ai des connexions. Pour Gand-Wevelgem, dans la réunion des directeurs sportifs, j’étais là avec d’autres directeurs sportifs, j’ai retrouvé un peloton. Il y avait là Nicolas Roche, Jan Stannard, Robert Wagner. J’ai revu, Sven Venthourenhout, Serge Pauwels, Jan Kirsipuu, Keyvin Ista. Que des anciens coureurs. Tu vois que dans tous les pays, on recherche des anciens professionnels.

B. G. : Cela me paraît logique…

J. D. : Oui, mais chez nous, cela n’a pas toujours été forcément le cas. Mais ailleurs, c’est vrai que c’est courant. Au Danemark, Anders Lund est entraîneur. On revoit beaucoup d’anciens professionnels dans les équipes de jeunes.

Par après, vous pourriez avoir envie de vous diriger vers les équipes professionnelles?

J. D. : Dans une équipe du World Tour, non. Là, j’ai vraiment plaisir de travailler avec les jeunes. Cela me ferait bizarre de faire un meeting avec des coureurs avec qui on a couru.

Cela arrive souvent dans les équipes…

B. G. : Moi, j’ai eu le cas avec Cyril Dessel qui avait été mon coéquipier avant de devenir mon directeur sportif (après sa carrière chez AG2R que le coureur français a terminée en 2011). Cela s’est bien passé, mais cela fait bizarre, car forcément, il n’avait plus le même discours que lorsqu’il était coureur.

J. D. : C’est normal, tu changes forcément.

B. G. : Oui, d’ailleurs, je n’ai pas arrêté depuis longtemps, mais j’ai déjà une autre perspective que lorsque j’étais coureur. Quand tu es encore en activité, tu ne le comprends pas forcément. Tu te dis, mince, on a couru ensemble, qu’est-ce qu’il me raconte.

J. D. : Oui, tu peux le prendre mal (il rit). Tu es sur un autre bateau et voilà…

Quelquefois les réactions des directeurs sportifs peuvent même être cinglantes, même si dans le cyclisme, c’est assez rare, la plupart des compétiteurs cherchant à donner le meilleur d’eux-mêmes…

J. D. : Il peut y avoir des raisons d’être en colère selon le scénario des courses. Quand ce n’est pas bon, il faut le dire.

B. G. : Je me souviens d’une anecdote où sur une Vuelta, on avait loupé une bordure avec (Domenico) Pozzovivo. « Pozzo » arrive dans le bus, il était content. « On a limité la casse, c’est bien. » Notre DS, Julien Jurdie, arrive, il nous passe une soufflante, « c’était quoi ça sur la bordure, on vous avait prévenu! ». On s’est pris une brasse monumentale. Tous les coureurs s’étaient fait engueuler et « Pozzo » me regarde et me dit : « Ce n’était pas une si mauvaise journée que ça! » (il rit). Plus personne ne parlait. Le lendemain, Julien est revenu au petit-déjeuner avec le sourire : « On a tous pété un bon câble, maintenant, on repart… » C’est un directeur sportif tellement passionné! Moi, je trouve que c’est aussi bien de dire les choses quand elles doivent être dites.

J. D. : Avec le recul, je suis d’avis qu’il ne faut pas toujours dire, si c’était mauvais, que c’était bon… Si c’est nul, alors c’est nul. Mais il faut le faire avec bonne foi.

Vous concernant, Ben, l’avenir passe par des études de kinésithérapeute?

B. G. : Oui, c’est ça, j’attaque ce vendredi (aujourd’hui) à Lunex (NDLR : Lunex University à Differdange). Cela fait quelques années que j’avais envie de ça. J’ai envie de rester dans le sport. La thématique de la rééducation dans le sport chez un sportif après une blessure, m’intéresse également. L’aspect prévention des blessures. Je veux aussi préparer un diplôme d’entraîneur en préparation physique avez l’Eneps (École nationale de l’éducation physique et des sports). Cela va très bien ensemble. Cette formation est remise en septembre. Je suis content de partir là-dessus. J’aurais pu commencer tout de suite au niveau 4, ce qui était bien. Cela viendra plus tard. Je reste quand même aussi dans le sport. Bon, les études vont durer cinq ans, c’est un peu long. On va voir comment ça va se passer. Mais j’ai déjà bossé l’anatomie ces deux derniers mois pour prendre de l’avance. Et j’ai aussi proposé mon aide à la fédération nationale. Cela me tient aussi à cœur. Ils ont besoin d’aide pour l’encadrement. Il n’y a rien eu de concret pour le moment, mais on verra s’ils ont besoin ou pas. Cela me tient à cœur. Et comme Jempy, je pense qu’on peut aider efficacement. Moi, ce que je sais, c’est qu’il faut faire quelque chose pour les jeunes, car ces dernières années, c’est devenu compliqué. Lorsqu’on est coureur professionnel, on ne se rend pas compte des problèmes. Je pense que c’est bien qu’un changement arrive. Pour que les jeunes soient le mieux encadrés possible.

J. D. : Il y a en effet beaucoup de travail à faire chez les jeunes. C’est toute la culture du cyclisme qui est bouleversée avec le phénomène de la jeunesse. Des équipes professionnelles embauchent carrément des juniors. On nous a toujours dit qu’il ne fallait pas brusquer les choses. On nous disait qu’il fallait y aller doucement. Doucement chez les juniors et ensuite chez les espoirs où tu fais tes quatre ans…

———————————–

Tu roules et tu n’as pas l’obligation d’un plan d’entraînement. Si tu veux t’arrêter sur un banc, tu t’arrêtes et tu regardes le paysage…

%d blogueurs aiment cette page :