Ben Gastauer : impressions de 12 ans de cycliste professionnel
Tout au long du Tour de Luxembourg, Ben Gastauer a chroniqué ses impressions de douze ans de carrière dans le ‘ quotidien ‘
14-09-2021
Je vais commencer cette chronique par cette fin de carrière qui s’est imposée à moi, avec cette blessure qui m’oblige à dire stop. Il y a d’abord une chose que j’ai trouvé assez drôle lorsque ma décision fut dévoilée, c’est que les gens que j’ai rencontrés croyaient tous que j’étais déçu que ma carrière se termine avec cette blessure à la selle. Alors que je suis content que cela se termine maintenant. Bien sûr, il m’a fallu prendre une décision, et cela n’avait pas été simple, mais une fois que celle-ci a été enfin prise, alors, j’étais soulagé. Je reste sur ce sentiment. Je savais bien que ma carrière se terminerait un jour. C’est le moment. Et je suis content de me projeter désormais vers l’avenir.
Je n’ai plus couru depuis le 10 avril et le Tour du Pays basque, et les semaines qui ont suivi m’avaient déprimé un peu. Je ne pouvais plus m’entraîner et je n’avais pas encore pris cette décision. Je ne savais pas encore combien de temps cette blessure me handicaperait et je voyais s’éloigner les objectifs que ne pourrais pas tenir, comme ma participation au Tour d’Italie. Je ne voyais plus bien comment ma saison pouvait se dérouler et déjà, des doutes sur ma capacité à tenir mon rang pour la saison 2022 m’envahissaient.
Je rageais d’autant plus qu’en début de saison, je me sentais très fort physiquement, j’avais alors vraiment l’impression que tout se passerait bien pour la suite. Je me répétais ça à l’entraînement, et mes sensations tant à l’entraînement qu’en course, me laissaient croire que j’étais prêt à faire une grande saison 2021. Mais cela ne s’est pas passé comme prévu. D’où ma décision de dire stop. Lorsque Vincent Lavenu, mon patron d’équipe depuis toujours chez AG2R, m’a posé la question de confiance de savoir si je pouvais envisager une saison 2022, j’ai décliné. Il a toujours été honnête avec moi et je me devais de l’être avec lui.
Après ce Tour de Luxembourg, une autre vie va commencer. J’ai déjà eu le temps d’y penser. Physiquement, par exemple, je sais que mon corps va changer, même si je compte encore faire du sport, car c’est d’abord une passion. On se pose ce genre de questions quand on pense à une fin de carrière pro. Aurais-je encore envie de faire du sport? Et comment mon corps va évoluer par la suite? Je n’ai pas la réponse. J’ai hâte de voir ça, je l’avoue. Notre sport nous prend beaucoup de temps avec les entraînements et les compétitions. Ce qui est certain, c’est qu’après ce Tour de Luxembourg, je ne vais plus toucher au vélo pendant de nombreux mois. Pour que ma blessure disparaisse pour de bon. Après on verra. Mais ce sont des questions dont je n’ai pas les réponses. Mais je me vois bien refaire de la course à pied et du ski, avec les enfants, notamment. Je resterai sûrement sur des sports d’endurance. Par contre, je n’ai encore rien organisé pour mon avenir professionnel, je verrai ça juste après ma dernière course.
15-09-2021

15-09-2021
La famille a été toujours impliquée dans ma carrière et je tenais à le souligner dans cette chronique. Le cyclisme, c’était une histoire de famille. Sans mes parents tout d’abord, rien n’aurait été possible pour moi. Depuis mes débuts, ils ont dû beaucoup investir. Au fil du temps, leurs rôles ont changé, mais ils m’ont toujours soutenu. Je termine ma carrière avec ma femme Aude et mes deux enfants, Siena et Sydney, qui sont autour de moi, c’est réconfortant. Et ma petite famille me permettait ces dernières semaines de me changer les idées, de penser à autre chose qu’au vélo. Cela m’a aidé pour avoir un équilibre.
Mes parents ne m’ont jamais forcé à faire du vélo, mais ils ont sacrifié beaucoup de leur temps libre pour m’emmener à droite, à gauche, sur les courses et les stages. Romain, mon père a été aussi pendant longtemps mon entraîneur. Il a commencé par passer des diplômes. Tous les entraîneurs que j’ai eus ont été importants et m’ont permis de passer des caps. Mais quand je regarde dans le rétroviseur, c’est lorsque mon père m’a entraîné que j’ai fait les meilleurs résultats. Ainsi, je pense avoir atteint mon sommet de forme durant le tour de France 2014, l’année où notre leader, Jean-Christophe Péraud avait terminé deuxième derrière Vincenzo Nibali. Je suis resté avec mon père jusqu’en 2018, où j’ai découvert autre chose, mais les résultats n’ont pas été les mêmes.
Ma mère (Yvette) étant une artiste, elle m’a appris à apprécier ce domaine et tout simplement, les paysages. J’ai toujours aimé le cyclisme pour cela, regarder autour de moi. C’est grâce à son approche artistique. Ma mère a toujours aimé m’encourager sur les routes, mes deux parents ont même suivi en entier certains des grands tours auxquels je participais
Quant à mon épouse, Aude, que j’ai rencontrée lorsque j’étais encore dans le club de Chambéry, elle a toujours su, en tant qu’ancienne cycliste elle-même, puisqu’elle avait disputé des championnats du monde juniors pour l’équipe de France, l’importance du soutien de la famille dans une carrière professionnelle. Après chaque course, c’est la première personne avec qui j’ai échangé. Et puis ces derniers temps, c’est devenu encore plus vrai, alors que j’étais blessé et que ça n’allait pas toujours bien. Elle a toujours été là pour trouver une solution. Et en tant que kiné, elle m’a aussi soigné…
Quant à mes deux enfants, ils m’ont aussi permis de me débrancher du vélo. Ils m’ont apporté de la joie. Ça faisait du bien, c’était un équilibre pour moi. Siena, ma grande fille de cinq ans était franchement contente lorsque je lui ai annoncé que je stoppais le cyclisme… Cela devenait un peu dur de me voir partir même si ces derniers temps, avec ma blessure, je suis resté longtemps à la maison.
Ils sont tous là sur ce Tour de Luxembourg sur le bord de la route et j’apprécie une dernière fois…
16-09-2021

En douze saisons, j’ai pu m’apercevoir que le monde du cyclisme avait beaucoup changé. Tout est devenu beaucoup plus professionnel qu’avant. Par exemple, lorsqu’en 2010, j’ai rejoint AG2R, on n’avait même pas d’entraîneur. Aujourd’hui, ils sont quatre dans l’équipe. Il y a trois spécialistes de la performance. Il y a clairement plus de staff. C’est devenu de plus en plus encadré, professionnel. On voit également des jeunes qui nous rejoignent et qui sont tout de suite prêts. Tout le monde est poussé pour plus de performance. Lorsque j’étais jeune, ce n’était pas forcément toujours le cas.Il y avait davantage la notion de l’aventure. On allait chercher des idées à droite et à gauche, le milieu du cyclisme fonctionnait par habitude. Lorsqu’on partait en stage ou en course avec la sélection nationale, cela ressemblait quelquefois à une excursion. On avait même quelquefois à trouver six coureurs pour prendre le départ de certaines courses.
Du coup, j’ai appris le métier de coureur lors de ma dernière saison au centre de formation en 2009, puis l’année suivante en signant mon premier contrat. Je me suis rendu compte que j’étais passé pro sans être au maximum de mes capacités. Cela a bien changé lorsque j’observe aujourd’hui comment se comportent les nouveaux. Ils arrivent et ils sont prêts.
Avec ce phénomène, ces dernières années, cela m’a poussé moi-même à rechercher de nouvelles méthodes d’entraînement et à me remettre en question et à voir mes propres limites. Et là, je me suis rendu compte que personnellement, je ne parvenais plus à m’investir autant qu’un jeune. Pour des raisons familiales tout d’abord. Cela a créé un problème d’un côté, comme cela m’a poussé à aller plus loin dans ma remise en question.
C’est comme pour les entraînements en altitude. Pour un jeune coureur, cela paraît normal et logique de faire de tels stages. Moi, avant ces dernières années, je n’en avais jamais fait. Et les quelques stages que j’ai effectués ne m’ont malheureusement pas beaucoup apporté. J’ai laissé tomber. Pour un jeune coureur capable de gérer, c’est bien plus facile. Ils sont carrés avec la nutrition, l’alimentation pendant les courses. Personnellement, je n’ai appris à gérer ça que ces trois dernières années. Avant, je faisais comme je pensais. Aujourd’hui, même un junior sait exactement quoi ingérer en course.
Bien sûr, je pense néanmoins qu’on peut y arriver avec de vieilles méthodes, mais dans ce cas-là, il faut vraiment de la réussite, le niveau est devenu tellement dense. Je ne pense qu’il y ait aujourd’hui beaucoup de coureurs capables de faire des résultats en n’adoptant pas une attitude très professionnelle. Personnellement, l’apport des capteurs de puissance, des plans d’entraînements stricts à respecter, cela ne m’a jamais gêné, au contraire, j’ai trouvé d’autres repères.
17/09/21

Je vais terminer ma carrière dans l’équipe où je l’ai commencée et c’est vrai que ce n’est pas banal. J’ai eu au cours de ces douze années un lien spécial avec AG2R. Cela veut dire que ça fonctionnait bien entre nous. Ils me faisaient confiance et je leur faisais confiance. Il s’agissait d’une confiance réciproque. Je suis fier d’avoir eu cette relation avec l’équipe et avec Vincent Lavenu.
Malgré ma blessure et ma situation, il m’a laissé ce choix de continuer. «Si tu veux continuer, m’a-t-il dit, tu peux continuer. Mais il faut juste que tu sois honnête.» Je suis content qu’il m’ait laissé ce choix à la fin, car je sais très bien que dans la plupart des équipes, cela aurait été fini. On ne m’aurait même pas prévenu qu’on ne comptait pas sur moi pour l’année suivante! J’ai fait mon choix et je termine donc ma carrière ici, sur le Tour de Luxembourg.
L’autre grande personnalité qui m’a marqué, c’est Jean-Christophe Péraud. C’était un personnage à part, il faut dire qu’étant venu du VTT, il est venu très tard sur route. C’était un plaisir, en 2014, de faire chambre avec lui lorsqu’il a terminé deuxième. J’ai vécu trois semaines assez exceptionnelles et cela me fait des souvenirs pour la vie. On s’entendait et on s’entend toujours très bien. Dans ce Tour de France 2014, je me souviens avoir eu un rôle, car Jean-Christophe, en dehors du vélo, est spécial, un peu ailleurs.
Mon rôle n’était pas seulement de l’aider en course. Je devais aussi lui dire quand on devait quitter la chambre, quand on devait faire la valise. Je devais gérer pour qu’on ne soit pas en retard, c’était un rôle important. Cela me faisait toujours rire ce côté tête en l’air. Il devait m’apprécier, car on rigolait bien ensemble, j’étais honnête avec lui et il s’était rendu compte qu’il pouvait me faire confiance. Je me donnais aussi à fond pour lui.
On partageait beaucoup, même quand ça allait plus mal en course. On ne se fâchait jamais. Je lui remontais le moral. Dans nos conversations, il y avait une partie débriefing de l’étape, le reste, on discutait de tout et de rien. Un jour, il avait eu un problème de plomberie avec son chauffe-eau. On en avait parlé des jours et des jours, il avait une formation d’ingénieur, ce genre de choses le passionnait. Il pouvait être tête en l’air, mais cela disparaissait lorsqu’il se posait sur le vélo. Il voyait des choses simples à améliorer et, grâce à lui, on a progressé sur notre matériel. Il était très pointu sur les entraînements et le matériel.
18/09/21

Avant de passer professionnel, je n’avais pas vraiment de modèle, d’idole en venant au cyclisme, même si le fait d’aller voir chaque année passer le Tour de Luxembourg m’avait donné envie de faire du cyclisme. Le premier personnage qui m’ait impressionné en tant que coureur pro, c’est Lance Armstrong. En 2010, je disputais le Tour des Flandres. Il était venu au départ avec ses deux gardes du corps.
J’étais le petit jeune qui arrivait et je voyais la grande star qui était accompagné de gardes du corps jusqu’à la ligne d’arrivée. C’est la seule fois que j’ai couru avec lui dans un même peloton, ensuite, je n’en ai eu qu’une vision par rapport aux médias. On peut résumer en disant que tout ce qui s’est passé avant cette époque n’était pas bon pour le vélo. Quand je suis passé pro, toutes les questions concernaient le dopage. C’était omniprésent à l’époque.
Ensuite, le coureur qui m’a beaucoup impressionné, c’est mon ancien coéquipier Romain Bardet. J’ai fait mes quatre Tours de France avec lui et il a fini deux fois sur le podium, deuxième en 2016 et troisième en 2017. Ce qui était fort pour moi, c’est de voir comment il avait progressé en passant, comme moi, du centre de formation de Chambéry au grand leader de grand tour qu’il est devenu, à force de travail. C’était grâce à son travail et son investissement personnel. Ce n’était d’ailleurs pas un cadeau de se retrouver en stage avec lui. Il te faisait clairement sentir mal. Car tu avais vite mauvaise conscience.
Une fois, je me suis retrouvé avec lui en stage d’altitude, il ne s’arrêtait pas de la journée. On roulait ensemble puis quand on faisait la sieste, tu le voyais repartir. Un matin, je l’ai vu se lever vers 6 h pour faire du home-trainer. Il était actif toute la journée. Mais c’est ça qui l’a fait progresser et grâce à lui, le niveau de l’équipe a été également tiré vers le haut.
Côté luxembourgeois, je suis passé pro au moment où les frères Schleck et Kim Kirchen étaient au sommet. J’ai bien vécu ça, car on était bien accueilli en tant que Luxembourgeois. Je me souviens notamment du Gala Tour de France. Il y avait eu un monde fou pour voir les Schleck et j’ai pu profiter de ça, c’était vraiment super. Et lorsqu’on disputait les championnats nationaux, il y avait beaucoup de monde sur le bord de la route et j’ai pu en profiter.
J’ai aussi profité de cette euphorie. Ils m’ont tous aidé à mes débuts en me glissant des conseils et je me souviens du petit mot que Frank Schleck a glissé aux oreilles de Vincent Lavenu au moment de mon embauche, comme quoi il avait fait un bon choix. Cela m’avait touché, il n’était pas obligé. J’ai fait ma carrière sans avoir autant de succès, mais je suis bien content de mon parcours. J’ai bien profité de ces douze ans, j’ai fait plus que je ne l’aurais pensé.
Super de revivre ses moments là ! J’ai pris beaucoup de plaisir et même rigoler avec le bon côté de Ben auprès de son leader Péraud ! Fini le vélo pour l’instant; et pourquoi pas se remettre au ski de fond … ?
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